Rétrospective RTL anniversaire 80 ans

Jacques CHAPUS : Il est le familier des dieux. Invité de RTL à 18 heures, Monsieur Alain Daniélou, écrivain, peintre, musicien, poète, danseur, professeur, chanteur.

Paris fête lundi à l'espace Cardin les 80 ans de ce voyageur amusé, de ce savant désinvolte.

Alain Daniélou est un grand voyageur, mais l'Inde est sa passion. 40 ans d'études de recherches sur des textes sacrés, des légendes, la philosophie et l'histoire de l'Inde. 15 ans passés à Bénarès, sa ville sacrée, lui ont permis de vivre en étroite communauté avec les maîtres de la pensée, les moines errants qui détiennent et transmettent une sagesse millénaire.

Alain Daniélou, vous ne dites pas « j'ai 80 ans », mais « 4 fois 20 ». Est-ce que c’est pour souligner l'illusion du temps ?

Alain DANIÉLOU : Oh, c'est surtout oui parce que c'est plus joli, parce qu’au fond, on essaie de maintenir toujours une certaine fraîcheur dans la façon dont on vit.

Jacques CHAPUS : Vous êtes peut-être le seul occidental à avoir été initié aux rites et pratiques secrètes de l'hindouisme. Comment cela vous est arrivé ?

Alain DANIÉLOU : Absolument par hasard. Moi, j'ai eu la grande chance d'arriver dans l’Inde sans aucune préparation, sans imaginer quelque chose, sans m’intéresser ni à la religion ni à la philosophie. Je faisais de la peinture, de la musique. Je suis entré dans ce pays absolument par hasard et j'ai été ébloui. Et alors, j’y suis resté et peu à peu, je me suis occupé de comprendre, d'apprendre la langue, d'apprendre le sanskrit, la langue classique, d’étudier la philosophie, la religion et de m'intégrer tout à fait dans un monde qui était pour moi merveilleux aussi bien au point de vue de la vie qu'au point de vue de la pensée et de tout ce que cela apportait, et que je n'avais pas trouvé probablement dans le monde où j'étais né.

Jacques CHAPUS : Alors, l’Inde est devenue votre patrie et vous voulez nous transmettre sa sagesse, mais les Indiens sont-ils plus sages que nous ?

Alain DANIÉLOU : Cela dépend desquels. L'Inde est le seul des grands pays de l'Antiquité qui ait survécu. C'est cela qui est extraordinaire dans l'Inde, parce que la Grèce, l'Égypte, cela intéresse. L'archéologie reste des monuments. Dans l'Inde, cette tradition, toutes les façons de vivre, de penser, tous les aspects de la philosophie se sont maintenus. C'est vraiment pour cela que c'est une expérience extraordinaire. Si on vous proposait aujourd'hui de vivre à Athènes à l'époque de Périclès, cela vaudrait la peine. Au fond, dans l'Inde, c’est cela.

Jacques CHAPUS : Vous avez compris le système des castes. Vous avez été admis dans une de ces castes ?

Alain DANIÉLOU : Le système de castes n’est pas un problème. Cela, c'est une invention ridicule. C'est un système social où on a essayé de mettre ensemble des peuples très différents, différents par leur religion, par leur origine, par leur culture, etc. Et il se trouve qu’il y a cette espèce de coexistence de groupes et ce n’est pas si difficile à comprendre. Je crois qu'en Occident, il n’y a que les juifs qui forment une caste dans le sens indien, c'est-à-dire, une communauté qui a sa religion, sa solidarité, qui ne se mélange pas trop aux autres et pourtant qui collabore à tous les aspects de la culture. Et au fond, le principe des castes, c'est cela.

Jacques CHAPUS : Alain Daniélou, quand vous dites « l'homme ne peut comprendre le monde sans se comprendre lui-même », c'est un constat, mais il n'est pas particulier à l’hindouisme ?

Alain DANIÉLOU : Non, mais au fond, l'hindouisme, ce n’est rien. L’hindouisme, le vrai, c'est en somme une culture qui a été celle du monde indien comme du monde méditerranéen dans l'antiquité. Et au fond, il y a tellement de rapports que c'est seulement beaucoup plus tard que les civilisations se sont vraiment séparées.

Jacques CHAPUS : Alain Daniélou, là-bas, dites-vous, j'ai compris que le monde courrait vers une terrible échéance naturelle : la pollution, la disparition des forêts, mais nous sommes tous d'accord, ici en Europe, dans le monde entier, les écologistes pullulent ?

Alain DANIÉLOU : Oui, mais ce qui est un cas intéressant quand même, c'est que dans l’Inde, nous avons des textes qui datent de plusieurs milliers d'années où on décrit le monde moderne et tous ses problèmes et, au fond, tout ce qui va le conduire à des catastrophes avec une clarté tout à fait stupéfiante.

Jacques CHAPUS : Alors, vous avez pris le chemin de Katmandou en 1932. Ce n'était pas à la mode à cette époque. Comment expliquer qu'aujourd'hui, bien des Occidentaux, des jeunes surtout, se croient nés pour vivre les pieds en lotus ?

Alain DANIÉLOU : Mais, c'est-à-dire, peut-être, mais je ne crois pas qu'ils arrivent à comprendre quelque chose de l'Inde parce qu'il y a d'abord un principe essentiel : vous ne pouvez pénétrer dans une civilisation que si vous comprenez parfaitement la langue. Or, aucun de ces Européens ne parle aucune langue indienne. Ils parlent un vague anglais et ont donc accès à une culture tout à fait superficielle. Et jamais ils n'atteignent les grands lettrés parce que pour rencontrer les grands lettrés ou les grands sannyasin, les grands moines des errants qui détiennent tout le savoir. Il faut accepter tous les modes de vie, toute l'étiquette, toutes les façons d'être, de parler, de se comporter et ces gens font d'une espèce de tourisme vaguement spirituel, mais qui ne mène à rien.

Jacques CHAPUS : D'accord. Alors, baladin, philosophe, vous avez parcouru le monde. Pourquoi – vous venez de me le dire – vous vous trouvez mieux ailleurs et moins bien à votre aise ici en France ?

Alain DANIÉLOU : Cela se trouve comme cela parce que je crois qu’au fond, étant fondamentalement, disons, païen et polythéiste, au fond, le pays où je me trouve le plus à l'aise, cela se trouve être l’Italie, en Europe, où les gens ne croient pas vraiment à la religion. Ils subissent les choses, ils s'intéressent aux rites, mais ils n'ont aucun problème de tous ces problèmes de psychologie ou de morale qui sont très développés chez les Français et qui sont mal à l'aise, qui mettent mal à l'aise parce qu'au fond, quand on s'intéresse à des vérités fondamentales, on est toujours gêné par ce qu'on appelle « les religions ».

Jacques CHAPUS : Alain Daniélou, merci. Je rappelle que lundi, vous fêterez vos 4 fois 20 ans à l'espace Cardin.