Transcription
Catherine MICHEL : Alain Daniélou, bonsoir et merci d’être venu à ce micro.
Alain DANIÉLOU : Bonsoir.
Catherine MICHEL : Je crois qu'il faut tout d'abord que j'essaie de rappeler un petit peu les différentes et nombreuses facettes de votre personnalité. Vous êtes pour nous, d'abord, écrivain. Vous êtes philosophe. Vous êtes musicologue. Vous avez étudié le sanskrit, la théologie et la musique hindou dans les écoles traditionnelles de Bénarès. Vous avez été membre de l'institut français d'indologie. Vous avez été directeur de l'institut international d'études comparatives de la musique pendant assez longtemps, de 63 à 77. Vous êtes, je crois, surtout en France le grand spécialiste de l’Inde. Vous y avez vécu de très nombreuses années. Vous écrivez paraît-il le hindi, comme le français, et vous êtes initié dans la tradition shivaïte. J'ai certainement oublié beaucoup de choses. Si vous avez quelque chose à ajouter, ajoutez-le.
Alain DANIÉLOU : Vous savez, j'ai beaucoup de défauts. Je fais aussi de la peinture et on vient de l’exposer, de faire une très jolie exposition de mes aquarelles.
Catherine MICHEL : J’étais à peu sûre que j'allais oublier quelque chose.
Alain DANIÉLOU : Et puis, je joue des différents instruments aussi bien la musique indienne que la musique occidentale. Enfin, j’ai beaucoup de défauts.
Catherine MICHEL : J'avais oublié, peintre et musicien. Pardonnez-moi.
Donc, à l'occasion de ces 80 ans, les éditions Flammarion publient de vous tout d'abord un petit ouvrage, d'ailleurs curieusement baptisé Roman, vous allez m'expliquer pourquoi, qui a pour titre « Le Tour du Monde en 1936 ». Où est le roman là-dedans ?
Alain DANIÉLOU : C'est une erreur d'impression. Ils se sont repentis trop tard. Vous savez, on ne regarde jamais la couverture quand on regarde les épreuves et c'est pour cela parce qu'au fond, ce n'est pas du tout un roman, c'est un reportage de jeunesse.
Catherine MICHEL : Oui, c'est bien ce qui m'avait semblé. Alors, cela avait paru d'ailleurs, je pense, à l'époque. Ce sont vos premiers textes ?
Alain DANIÉLOU : C’est, je crois, ma seule tentative de journalisme puisqu’après tout, je n'ai jamais fait beaucoup ce métier, mais en fait, il était illustré avec des dessins qui sont très amusants et que malheureusement, Flammarion n'a pas voulu publier mais heureusement des amis les ont publiés à part et cela complète un petit peu le spectacle.
Catherine MICHEL : Alors, Alain Daniélou, lorsque vous avez relu ces notes de voyage 50 ans après, quelle impression est-ce que cela vous a fait ? Quelles sont vos réactions ?
Alain DANIÉLOU : Que les gens n’apprennent rien, qu’ils font les mêmes erreurs, qu'ils continuent avec les mêmes diatribes, les mêmes discours politiques, les mêmes fausses évaluations. C'est extraordinaire enfin de voir qu’après tout ce qui s'est passé que les gens continuent à dire les mêmes bêtises. Et cela, au fond, c'est assez drôle, mais c’est assez triste aussi.
Catherine MICHEL : C’est aussi l’impression qu'on a, les uns, c’est que vraisemblablement, cela n'a pas tellement changé parce que ce que vous décrivez correspond assez à ce qu'on connaît aujourd'hui.
Alain DANIÉLOU : Oui, naturellement.
Catherine MICHEL : Là, vous avez fait un tour du monde qui a commencé par les Etats-Unis. Là, ce qui va étonner sûrement pas mal de vos lecteurs, c'est que vous avez rencontré Gayelord Hauser qui déjà en 1936 était une star.
Alain DANIÉLOU : Oui, il commençait. Je le connaissais moi avant qu'il soit une star.
Catherine MICHEL : Non, parce que vous écrivez et que sa porte était verrouillée et que c'était toute une histoire pour pouvoir rentrer chez lui.
Alain DANIÉLOU : Oui, bien sûr.
Catherine MICHEL : Donc, c'était déjà une vedette
Alain DANIÉLOU : Oui, c'était déjà une vedette. Il commençait à avoir un succès fou comme le diététiste qui s'occupait de toutes les étoiles d'Hollywood. C'était un homme charmant d’ailleurs.
Catherine MICHEL : Mais vous-même, vous aviez passé des années de collège aux Etats-Unis. Vous connaissiez les Etats-Unis ?
Alain DANIÉLOU : Oui, moi, j'étais au collège aux Etats-Unis quand j'avais 19 ans et j'avais adoré cela absolument. Cela, c'était une révélation de cette façon si généreuse de vivre tant de liberté qui n'existe pas naturellement dans nos écoles occidentales.
Catherine MICHEL : Je crois qu’il n'existe sûrement pas à votre époque. Il paraît que maintenant, il y a un laxisme complet dans les écoles d'après ce qu'on entend dire.
Alain DANIÉLOU : Oui, mais laxisme n'est pas nécessairement liberté. Cela, c'est une autre chose.
Catherine MICHEL : Ensuite, un mot peut-être du Japon. Vous ne semblez pas avoir été tellement séduit par le Japon et d'autre part, il y a une remarque qui m'a amusé, c'est celle-ci : la peur que les Américains ont des Japonais est forte étonnante. Les Américains avaient peur.
Alain DANIÉLOU : Oui, c'était extraordinaire leur comportement prudent, etc. Les Japonais les impressionnaient beaucoup. Naturellement, à l'époque, le Japon n'était pas un pays aussi ouvert qu'il est maintenant. Il n'y avait pas de tourisme, etc., donc il fallait tout de même être sur ses gardes. Et si, comme moi, on s'adaptait très facilement à l'étiquette, aux façons de vivre, aux façons de s'asseoir, aux façons de parler, aux façons d'être poli, c'est vrai, mais pour les Américains, c'était très difficile et bien évidemment, ils se sentaient très gênés et restaient très prudents.
Catherine MICHEL : Après, vous avez passé quelque temps en Chine. On peut retenir que vous n'appréciez pas trop l'architecture, l'art chinois. En tout cas à l'époque, je vais vous lire votre phrase « les Châteaux de Louis II paraissent d'une noble simplicité à côté de ces impériales folies », avez-vous écrit à propos du Palais d'été ?
Alain DANIÉLOU : Oui, mais le Palais d'été, c'était les folies de la dernière impératrice qui avait évidemment construit des choses absolument aberrantes par les détails extravagants, par les ornements surchargés, etc. mais ce n'était pas cela…
Catherine MICHEL : Autrement, vous aimez l'art chinois ?
Alain DANIÉLOU : Le grand art chinois, bien sûr ! Dans certains domaines, il n’y a rien de plus beau, la peinture à l'encre de Chine et les grands monuments même de Pékin, le temple du ciel, ce sont des choses absolument sublimes.
Catherine MICHEL : Vous avez eu l'occasion d'y retourner depuis lors ou bien jamais ?
Alain DANIÉLOU : Non. Je ne suis jamais retourné en Chine.
Catherine MICHEL : Vous vous êtes centré sur l'Inde après ?
Alain DANIÉLOU : Oui, évidemment. L’Inde est devenue ma patrie. Et puis alors, presque tous les pays ont tellement évolué qu’on n'a pas tellement envie d'y retourner.
Catherine MICHEL : Alors, parlons de l'Inde. Ce n'était pas votre premier voyage en Inde en 1936 ?
Alain DANIÉLOU : Non. C'était peut-être le quatrième. Oui, puisque le premier voyage était en 32 et comme je m'étais très lié avec le poète Rabindranath Tagore dès cette première visite et qu’il m'avait chargé de toutes sortes de missions en Europe pour lui, j'y suis revenu avec mon ami Burnier qui était Suisse d’ailleurs pour pratiquement chaque année. Nous avons fait une fois le voyage en voiture pratiquement de Paris à Calcutta. Une autre fois, nous avons fait le tour du monde.
Catherine MICHEL : Là, vous avez fait l’Inde en roulotte. C'était une roulotte ou une caravane ?
Alain DANIÉLOU : Je ne sais pas comment…
Catherine MICHEL : Ce n’est pas ce qu’on appelle caravane aujourd'hui ?
Alain DANIÉLOU : Je crois, oui. Je crois.
Catherine MICHEL : Je pensais parce que roulotte avec des chevaux quand même pas.
Alain DANIÉLOU : Non. C’étaient les premières d'ailleurs, cela n'existait nulle part que nous avions acheté aux Etats-Unis et qui s'attachait derrière une voiture. Et c'était un truc absolument merveilleux parce que grâce à cela, nous avons pu séjourner près des temples perdus, dans la jungle et dans des tas d’endroits merveilleux.
Catherine MICHEL : J’aimerais, Alain Daniélou, que vous nous parliez un petit peu de Rabindranath Tagore parce que j'ai eu l'impression très nette que les jeunes ne savent plus très bien qui c'était, en tout cas, ne savent plus écrire son nom.
Alain DANIÉLOU : Oui, mais je crois qu'il y a un certain retour, il me semble. En tout cas, en ce moment et récemment, j’ai des amis, des Indiens qui ont commencé de chanter ses chants, ses mélodies. Et moi-même, j’avais fait, pour lui faire plaisir, des arrangements de certaines de ses chansons pour qu'elles puissent être chantées en Occident. Et au fond, je trouve qu'il y a beaucoup de sympathie et d'intérêt pour cette musique et en même temps peut-être pour cette poésie. Evidemment, c'est une poésie, c'est un peu très curieux parce que dans sa littérature en Bengali, il y a quelque chose de très direct, de très populaire, de très vivant et il traduisait lui-même cela dans l’anglais le plus académique de Tennyson, ce qui évidemment ne rendait pas très bien l'esprit, la qualité de son œuvre.
Catherine MICHEL : Il était fort âgé à ce moment-là déjà.
Alain DANIÉLOU : Oui, il était déjà fort âgé, il avait une énorme barbe blanche.
Catherine MICHEL : C’est l’image qu'on a gardée.
Alain DANIÉLOU : Mais il restait un homme très alerte et très amusant, très spirituel, très vivant.
Catherine MICHEL : Alors là, vous êtes allé à Bénarès et je crois que pour la première fois, vous avez logé dans ce vieux Palais qui a ensuite été votre demeure pendant de nombreuses années.
Alain DANIÉLOU : Oui. Avec Raymond Burnier, en visitant Bénarès, nous admirions un de ces Palais extraordinaires avec ces balcons de marbre qui étaient d'ailleurs un des plus beaux de Bénarès et on disait enfin « si on pouvait habiter dans un endroit comme cela, cela serait prodigieux ». Et le garçon qui nous accompagnait a dit : « Vous le voulez ? Il est à louer pour 100 roupies par mois ». Alors, évidemment Raymond a tout de suite loué ce Palais en se disant : « Bon ! On y viendrait une fois de temps en temps » et puis finalement, l’un et l’autre, nous y avons vécu pendant presque 20 ans.
Catherine MICHEL : Mais cette fois-là, il y avait la peste à Bénarès. C’est peut-être pour cela que le Palais était si bon marché à louer, non ?
Alain DANIÉLOU : Non. Ce n’était pas pour cela. La peste y est toujours, la peste ou bien le choléra. Ce sont des mésaventures saisonnières. Mais non, simplement parce que Bénarès qui avait été non seulement une ville sacrée, mais une de plaisir et de musique et d'art avait été en quelque sorte déclassé par les Anglais qui avaient déclaré : c'est une ville sainte, c'est indécent qu'il y ait ici des danseuses, des musiciens, etc. Ils avaient interdit les fêtes. Alors les musiques Maharaja, ils venaient bien de temps en temps pour faire leurs prières mais pas très souvent.
Catherine MICHEL : J'aimerais, Alain Daniélou, que vous nous expliquiez pourquoi vous avez choisi de vivre, de rester, et de vous fixer à Bénarès surtout.
Alain DANIÉLOU : Vous savez, pour moi, l’Inde, cela a été une espèce d'éblouissement. J'ai trouvé ce pays absolument fascinant, non seulement par la beauté des choses, des paysages, des êtres, mais aussi par la découverte d'une culture extraordinaire et sur tous les plans, une façon de vivre. C'était comme si on s'était trouvé transporté subitement dans la Grèce de Périclès ou l'Egypte de Ramsès. C’était absolument extraordinaire. Et à condition d'oublier tout ce qu'on savait, de s'intégrer vraiment, on découvrait alors une façon de vivre que tout le monde a oublié et qui est quelque chose d'extraordinaire.
Catherine MICHEL : Est-ce que vous croyez que vous avez vécu en Inde une vie antérieure peut-être ?
Alain DANIÉLOU : Moi, je ne crois pas beaucoup à une vie antérieure.
Catherine MICHEL : Non ? Qu'est-ce que vous pensez alors de cela justement de la vie ? Qu'est-ce qu'on devient ?
Alain DANIÉLOU : Qu'est-ce qu'on devient ?
Catherine MICHEL : Quand on meurt. Et quand on naît, d’où est-ce qu’on vient ?
Alain DANIÉLOU : Mais écoutez ! En tout cas, il y a beaucoup de gens qui croient à la transmigration, mais il y a aussi beaucoup d'Indiens qui n’y croient pas. Et après tout, ce qui est important du point de vue des Indiens, c'est l'espèce. C’est d'appartenir à une communauté qui se transmet certaines valeurs. Et là, après tout, l'individu devient très secondaire et ce sont les occidentaux qui sont tellement fascinés par leurs individualités au lieu tout de même de considérer qu'ils font partie d'une lignée et qu'ils ont des ancêtres et qu’il y a un futur et qui sont juste un anneau dans une chaîne, dont on essaie de faire le meilleur usage, de le polir de son mieux, mais ensuite, on passe la main.
Catherine MICHEL : Oui, c'est pour cela, vous nous l'aviez déjà dit d'ailleurs à une autre rencontre, que vous, vous êtes tout à fait pour le maintien des castes par exemple.
Alain DANIÉLOU : Les castes, vous savez, c'est une chose qu'on comprend très mal en occident. Simplement, les castes, c'est une reconnaissance qu’il y a parmi les humains des espèces différentes, des communautés différentes qui ont des religions différentes, des croyances différentes et aussi des types humains avec des capacités différentes, et que c'est cela qui fait la beauté de l'espèce, et qu'il est important de maintenir cette diversité et par conséquent d'éviter les hybrides, d’éviter les mélanges. Et moi, je remarque que chaque fois qu'on a à faire à des hybrides, c'est toujours une perte. Quand on parle franglais, on ne parle plus ni français ni anglais. Et je crois que l’Inde, à cause de ce système, a toujours accueilli tous les peuples persécutés qui pouvaient y continuer leur mode de vie, leur façon d'être sans qu'on les persécute, sans qu'on cherche à les assimiler. Et je crois que même si à certaines époques, il y a eu des problèmes, il y a eu des choses, il y en a toujours, au fond, je crois que c'est un admirable système de coexistence pour les différentes sortes, les différentes variétés de l'espèce humaine.
Catherine MICHEL : Vous avez milité dans le parti conservateur de l'Inde. Vous avez été assez opposé à la modernisation de l'Inde et vous avez écrit des choses tout sauf tendres sur Gandhi.
Alain DANIÉLOU : Oui, écoutez…
Catherine MICHEL : Vous avez dû choquer pas mal de monde.
Alain DANIÉLOU : Choquer et ravir.
Catherine MICHEL : En Europe, en tout cas.
Alain DANIÉLOU : Oui, mais en Europe, vous comprenez, Gandhi, ce n’est pas une réalité.
Catherine MICHEL : C’est intouchable, si j’ose dire vraiment, entre trois paires de guillemets.
Alain DANIÉLOU : Mais c'est un mythe. C’est quelqu'un comme Moïse qui est un homme. On en fait ce qu'on veut. Mais quand on a connu ce genre de personnage, qu’on a subi d'une certaine façon leurs lubies et Gandhi d'ailleurs ne prétendait pas, lui, même être un saint. Il disait : « Je suis un politicien qui se déguise en saint, mais pas un saint qui se déguise en politicien ». Et au fond, c’était cela.
Evidemment, moi, je trouve que c'est extrêmement dangereux quand des gens utilisent une certaine apparence de sainteté pour des fins qui sont politiques et à moi, il m'était très antipathique, je dois dire.
Catherine MICHEL : Oui, lorsqu’on lit vos livres, on n’a aucun doute à ce sujet. A propos de politique Alain Daniélou, qu'est-ce que vous pensez de ce qui se passe actuellement en Inde ?
Alain DANIÉLOU : L'Inde est dans une situation très difficile, et cela malheureusement, c'est par une série d'erreurs politiques qui m'attristent beaucoup parce que je faisais partie du groupe de gens qui auraient voulu, qui auraient cherché, qui auraient pu les éviter. Et malheureusement, les gens qui ont négocié l'indépendance de l'Inde, qui étaient tous des gens d'éducation britannique, se sont laissés manipuler par des Anglais qui voulaient arriver à diviser l'Inde et ensuite, ils ont voulu imposer des idées plus ou moins socialistes qu'ils avaient rapportées d'Occident. Ils ont détruit les états princiers, les choses qui marchaient le mieux, qui étaient quelque chose de remarquable aussi par la joie des gens qui y vivaient, les artistes que les princes entretenaient, tout cela. Ils faisaient une chose et une société très harmonieuse et qu'il était tout à fait inutile de le détruire
Catherine MICHEL : Oui, d'autant qu'apparemment, cela n'a pas tellement amélioré la condition des classes les plus pauvres.
Alain DANIÉLOU : Mais non, tout au contraire. Vous savez, quand vous cherchez à niveler au fond trop les gens, finalement, les plus malins, cela ne profite qu'aux plus malins et cela leur permet d'écraser les plus misérables. Et justement le système indien très hiérarchisé faisait que ce n'était pas possible pour certains, pour certains groupes de gens de prendre, de s'approprier tout, aussi bien le pouvoir que l'argent. Ce qui, dans le système des castes, était impossible.
Catherine MICHEL : Alain Daniélou, le deuxième livre qui paraît en même temps que ce « Tour du Monde en 1936 », c’est une traduction du tamoul ancien d'un livre qui s'appelle « Manimekhalai » (je pense que je prononce tout faux) ou « Le scandale de la vertu ». C’est une traduction de tamoul ancien. Alors là, je vais vous poser une question qui va peut-être vous paraître saugrenue, mais en Suisse, nous avons énormément parlé des Tamouls d'aujourd'hui. Récemment, il y a eu des réfugiés tamoulains Suisse, on les a refoulés. Maintenant, on entend tous les jours aux informations que les Tamouls se battent à Ceylan, au Sri Lanka comme on dit maintenant. Est-ce qu'il y a un rapport entre la langue tamoule ancienne et les Tamouls anciens et ces Tamouls d'aujourd'hui et pourquoi est-ce qu'ils sont en conflit ? Parce que cela, c'est une chose que dans les émissions d'information politique, on n'explique jamais à personne.
Alain DANIÉLOU : Ecoutez ! Il faut faire attention que dans beaucoup de pays, vous avez une classe cultivée, raffinée et puis, vous avez une masse prolétaire, disons, qui a tendance à se multiplier. Et malheureusement, alors que dans le pays tamoul, vous avez encore des gens extrêmement raffinés, extrêmement cultivés qui maintiennent des traditions prodigieusement anciennes, vous avez aussi une espèce de classe paysanne dont on ne sait pas trop que faire parce qu'ils s'y multiplient et c'est ces gens-là qui s'exportent. Et au fond, c'est une chose assez attristante parce que Ceylan qui était un pays charmant…
Catherine MICHEL : Mais c'est leur pays Ceylan.
Alain DANIÉLOU : Mais non, pas du tout.
Catherine MICHEL : C’est où le pays tamoul ?
Alain DANIÉLOU : Le pays tamoul, c'est du côté de Madras. C’est dans le sud de l'Inde mais proche du détroit. Et alors, ce sont des espèces d’ouvriers qui se sont exportés et qui sont des gens sans aucune culture.
Catherine MICHEL : Ils sont d’une autre race, d'une autre religion ? Pourquoi est-ce qu’ils se battent ?
Alain DANIÉLOU : Mais oui et alors, simplement parce que ce sont des gens très durs et simplement ils veulent manger peu à peu ce pays charmant, délicieux qu’était Ceylan. Et on ne sait pas comment s’en tirer et qu’en faire ? Ils se font passer pour des victimes, mais ce n’est pas du tout cela le cas. C'est vraiment toute la vie de Ceylan avec ses moines bouddhiques et ses vieilles traditions d'hospitalité qui est complètement menacée par cette masse des migrants brutaux, incultes et qui ne respectent rien. C'est au fond une situation assez tragique.
Catherine MICHEL : Seulement, il faut bien leur trouver une place.
Alain DANIÉLOU : Oui, mais attention ! C'est un problème, je crois, qui est partout dans le monde. Est-ce qu'on trouvera indéfiniment de la place pour justement des gens qui, en somme, n'apportent pas grand-chose ?
Catherine MICHEL : Et alors, cette œuvre que vous avez traduite, je ne l'ai pas lue, je n'ai pas eu le temps de lire, je le lirai parce qu'il semblerait que c'est vraiment un ouvrage monumental.
Alain DANIÉLOU : C’est un livre, pour moi, absolument ravissant. J'ai passé beaucoup de temps pour réaliser cette traduction qui était difficile et qui vraiment présente une civilisation absolument charmante par son raffinement, par ses arts, par sa vie sociale. C'est vraiment un tableau extraordinaire de ce qu'a pu être l'Inde au 2ème siècle de notre ère.
Catherine MICHEL : J'ai beaucoup de questions que j'aimerais encore vous poser, mais je suis en train de regarder la montre et le temps tourne. Lorsqu’on s'était vu, je crois que c'est la dernière fois où vous nous aviez parlé de votre livre « Shiva et Dionysos ». On peut peut-être terminer par là. Et c'est dans ce livre qu’il y a la description des signes annonciateurs de la fin du Kali Yuga. C'est bien dans ce livre-là, c'est dans Shiva.
Alain DANIÉLOU : Non.
Catherine MICHEL : C’est dans quoi ?
Alain DANIÉLOU : C’est surtout dans « La Fantaisie des Dieux et l’Aventure Humaine ».
Catherine MICHEL : Alors, il y a toute la description et cela remonte, je crois, à la nuit des temps.
Alain DANIÉLOU : Oui, cela remonte à des millénaires certainement cette description de notre temps.
Catherine MICHEL : Et cela doit dater notre interview de plusieurs années déjà. Qu'est-ce que vous pensez de ce qui se passe actuellement dans le monde par rapport à ces prédictions ?
Alain DANIÉLOU : Simplement, il semble que les gens se donnent beaucoup de mal pour réaliser exactement toutes les conditions qui doivent conduire l'humanité à sa perte.
Catherine MICHEL : Seulement d'autre part, si c'est prévu comme cela, si les âges doivent se succéder, on ne peut pas y échapper ?
Alain DANIÉLOU : Non, on ne peut pas y échapper, mais on peut peut-être un peu retarder l'échéance et on peut aussi modifier la façon dont cela se termine. Je crois qu’on ne fait pas ce qu'il faut pour terminer harmonieusement l'époque, notre époque.
Catherine MICHEL : Je vous remercie Alain Daniélou. Je voudrais aussi rappeler que vous avez publié, il y a 6 ou 7 ans, votre autobiographie sous le titre « Les Chemins du Labyrinthe ». Que ceux qui ne l'ont pas lu peut-être saisissent l'occasion de ces 80 ans pour lui lire. Et je voudrais, au nom de tous vos admirateurs et de tous vos auditeurs en Suisse, vous souhaiter encore une fois un excellent anniversaire et donnez-nous encore beaucoup d'autres livres.
Alain DANIÉLOU : Merci beaucoup.
Catherine MICHEL : Merci beaucoup.
Résumé
Attention : propos parfois pouvant être pris pour des propos antiprolétaires.
Daniélou retrace, à l’occasion de la parution de sa traduction du Manimekhalai, son parcours.