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Musique et psychoacoustique par Daniel Ko. Aujourd’hui, effet psychophysiologique d’intervalle sonore correspondant à des données numériques précises, Alain Daniélou et l’instrument de recherche musical Kudelski S52.
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Alain DANIÉLOU : On dit toujours que les petits intervalles ne sont pas facilement discernables pour l’oreille. Et dans ces 52 intervalles, si nous les prenons en séquence, on s’aperçoit tout de suite à quel point ils sont variés et différents. Je vais vous en donner un petit exemple.
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Et ceci nous donne une octave. Il y a donc beaucoup de possibilités.
Parmi ces intervalles, il y en a qui sont plus ou moins expressifs et qui donnent des couleurs très différentes. Par exemple, si nous faisons même un accord, un accord majeur ordinaire avec une tierce harmonique, il est doux, et si nous mettons une tierce pythagoricienne, il devient différent, voyez-vous.
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Il y a deux aspects d’accord et de même pour des tierces mineures.
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Et au point de vue des intervalles expressifs, on a ce dont on se sert dans la musique indienne. Vous avez par exemple des intervalles mélancoliques
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qui sont très différents d’intervalles, c’était un la bémol bas triste.
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Ceci est un intervalle la gai et le la triste était celui-ci.
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Voilà deux la bémol qui sont également justes et qui ont un caractère tout à fait différent au point de vue expressif.
L’appareil est d’un type nouveau pour étudier des problèmes qui préoccupent les musiciens depuis l’antiquité.
J’ai fait des recherches pendant des années sur la différente forme de musique orientale et j’ai toujours été frappé du fait que comme d’ailleurs, c’était le cas dans la musique antique et dans la musique du Moyen-âge, on attribue à certains intervalles des effets psychologiques absolument définis. J’ai donc cherché à étudier s’il y avait dans ces intervalles certaines constantes, certains facteurs définissables d’une manière extrêmement précise, et c’est surtout dans la musique indienne que j’ai retrouvé cette association tout à fait précise entre l’intervalle mathématique – disons – et le sentiment qu’il exprime.
C’est ainsi qu’en étudiant la musique indienne, un grand musicien peut très bien vous expliquer la hauteur relative des différents shrutis, des différents micro-tons qu’il utilise dans un raga, dans un mode ou dans un autre, mais il trouve plus précis et plus facile de vous le définir par le sentiment. Il vous dit donc, vous jouerez un si bémol qui est triste en pensant triste, ou vous jouerez celui qui est gai en pensant gai.
Et en fait, par ce système, on arrive exactement à une précision extraordinaire dans la définition des intervalles. Ceci explique pourquoi dans le monde antique, comme dans le monde arabe, comme dans le monde indien, dans toutes les musiques modales, on attribue un effet émotionnel, un effet psychologique, un climat à certaines échelles sonores.
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Intervenante : Raga marwa, raga du soir, Ram Narayan, Sarangi
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Alain DANIÉLOU : J’ai donc essayé d’étudier d’une façon très précise quels étaient non seulement les intervalles utilisés, mais les constantes que l’on pouvait trouver entre des intervalles qui avaient le même caractère, pourquoi il y a un certain mi bémol qui ressemble à un certain si bémol, un certain la bémol qui ressemble à un certain ré bémol, etc.
Et faisant aussi un travail très minutieux sur tout ce qui avait été proposé du point de vue alors analytique par les Arabes, par les grecs, par les hindous, etc., et par des auteurs du Moyen-âge, de voir où ils s’égaraient dans leur théorie où ils cherchaient une approximation parce qu’ils avaient une certaine idée des nombres et si les intervalles qu’ils proposaient correspondaient à des réalités ou simplement à des approximations.
Et c’est ainsi que je me suis aperçu au fond qu’on arrivait toujours aux mêmes éléments, que quand on proposait une formule différente, un rapport de son différent, c’était en général une différence absolument minime qui correspondait en somme à une certaine constante. Et ces constantes se trouvaient toujours liées à ce qu’on appelle en anglais nonverbal counting, c’est-à-dire notre capacité de percevoir certains facteurs numériques, certaines figures géométriques sans compter. Et il se trouve que pour l’homme, pour certains animaux, c’est différent, mais pour l’homme, c’est toujours limité aux facteurs 2, 3, et 5. C’est-à-dire nous ne percevons jamais directement, nous n’avons pas de moyens mentaux de classification pour des rapports qui dépassent des multiples du facteur 5.
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Intervenante : Kathleen Ferrier, Mahler, Kindertotenlieder.
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Alain DANIÉLOU : En fait, il semble que ces constantes de rapport entre des facteurs numériques et des facteurs émotifs soient une constante absolue pour tous les êtres humains. On doit les retrouver dans tous les systèmes musicaux.
Dans la musique occidentale qui, depuis quelque siècle, s’est liée à des intervalles qui sont fondamentalement faux, qui sont brisés, qui sont des espèces d’ajustement intermédiaire, on s’est dit : « mais il y a tout de même de la musique, il y a tout de même des éléments émotifs dans la musique ».
Et là, c’est extrêmement intéressant parce qu’il y a un phénomène très curieux. Tous les musiciens, dans tous les systèmes musicaux quand ils commencent de jouer, ils jouent faux. Ils jouent quelque chose d’à peu près, d’approximatif. Et puis, il y a des moments où il se passe une espèce de miracle et, tout d’un coup, il y a un contact prodigieux et émotionnel entre le musicien et son auditoire.
Une chose très intéressante justement qu’on peut remarquer, si vous prenez un chanteur, particulièrement des chanteurs de Lieder qui sont très facilement sur un plan émotif ou un bon violoniste, au moment où ce miracle se produit, il ne va plus du tout utiliser les intervalles tempérés. Même s’il est accompagné d’un piano, il ne l’écoute pas et il va retrouver cette espèce d’intervalle précis qui nous perce comme une aiguille, qui a tout d’un coup une intensité d’émotion, qui est une chose prodigieuse et qui réagit sur tout son auditoire. Et ces intervalles sont exactement les mêmes que ceux qu’utilise le musicien hindou, le musicien arabe au moment où lui-même est aussi dans un état d’identification avec la musique.
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Raga, Rageswari, Sivakumar, Sarma, Santur.
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Jacques Cloarec, assistant d’Alain Daniélou au clavier du Kudelski S52.
Jacques CLOAREC : Ce que je voulais simplement dire, c’est un petit peu ce qu’on a pu faire avec cet appareil au point de vue micro computer, c’est-à-dire que monsieur Daniélou m’a écrit une petite partition très, très courte. Vous pouvez dire peut-être qu’est-ce que vous avez voulu démontrer dans cette partition.
Alain DANIÉLOU : Non, simplement des comparaisons d’intervalle et de gamme.
Jacques CLOAREC : Et de gamme, et j’ai mis cette partition en mémoire sur l’appareil et je peux maintenant demander à l’appareil de la jouer.
Je demande d’abord à l’appareil de la jouer dans un tempo un peu lent et nous allons l’écouter.
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Nous le refaisons dans un registre plus grave à une autre vitesse nettement plus rapide.
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Alain DANIÉLOU : Il faudrait aussi indiquer les possibilités par comma cojoint de tous les espèces de climats sonores que l’on peut créer sur cet appareil parce que si l’on joue ensemble des intervalles très proches ayant des significations différentes, on obtient des espèces d’accords qui correspondent dans un certain sens à ce que cherche à faire le vibrato. Par exemple en utilisant simplement des :
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Ou bien alors des espèces de brouillard sonore :
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Jacques CLOAREC : Vous avez dit la marge d’octave que nous avions ?
Alain DANIÉLOU : Oui, il y a une très grande marge.
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Il y a donc 8 octaves. L’instrument lui-même n’a que 4 octaves, mais peut se transposer depuis les infrasons jusqu’aux ultrasons, donc on peut faire toute la gamme possible. Et cela permet aussi par exemple de reconstituer des formules sonores d’harmonique conçues comme des accords qui sont impossibles à faire sur d’autres instruments.
Jacques CLOAREC : Et on peut avoir une partition en mémoire jusqu’à 1000 notes.
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Alain DANIÉLOU : Il y a aussi une chose qui est intéressante, c’est que quand on fait des bruitages comme nous venons de le faire, ce sont des bruitages faits à des ensembles de son signifiant, et ceci, même les bruits les plus bizarres que les compositions les plus complexes ont tout à fait un autre caractère que des bruits dépourvus de signification. Ce sont des multiplications de son signifiant mis ensemble. Et ceci agit, je crois, aussi psychologiquement d’une façon tout à fait différente de ce qu’on appelle des bruits.
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Intervenante : Effet psychophysiologique d’intervalle sonore correspondant à des données numériques précises.
Alain Daniélou et l’instrument de recherche musical Kudelski S52.
Yann Paranthoën, Hazel Carr, Robert Aubry-Lachainaye, Daniel Ko.
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Musique et psychoacoustique.
Demain, effet psychophysiologique de l’intonation juste. Le rôle de la durée ou de la répétitivité lié à celui de la précision des tons.
Alain Daniélou, La Monte Young et le piano bien accordé.
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Intervenante : France culture vous propose à présent le journal du corps par Antoine Vial.
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Effet psychophysiologique de l’intonation juste.
Le rôle de la durée ou de la répétitivité lié à celui de la précision des tons.
Alain Daniélou, La Monte Young, le son prolongé et le piano bien accordé.
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Alain Daniélou.
Alain DANIÉLOU : Il est évident qu’à partir du moment où tout l’entrainement des musiciens, tout le développement de la musique se fait à partir d’éléments artificiels, d’éléments qui ne correspondent pas tout à fait au (0:29:57) bruit : passage inaudible. et forcément à la conception et non plus à la signification des sons. Et au fond, une certaine tendance de la musique contemporaine, non seulement de la musique, mais même de l’interprétation de la musique qui est une interprétation froide, structurelle, abstraite, et le résultat normal d’une habitude à des gammes artificielles et que de là, on en arrive presque à croire qu’au fond, les sons n’ont pas de signification en eux-mêmes.
On finit par jouer avec n’importe (0:30:51) bruit : passage inaudible couleurs, des bruits, toute sorte d’éléments qui est tout à fait extérieur à ce qu’est de la musique à son origine, qui est une espèce de communication avec un espèce de monde mystérieux, un espèce de monde surnaturel qui fait par exemple qu’une musique indienne est très facilement liée à des éléments mystiques.
On tombe, en somme, dans une musique matérialiste qui devient une musique matérielle qui finit par des bruits. C’est une évolution logique. Évidemment à partir du moment où on redécouvrirait tout à fait un autre usage des sons, une signification beaucoup plus profonde, beaucoup plus humaine, il faudrait repartir sur une voie tout à fait différente. Et c’est là d’ailleurs, je crois, un problème capital de la musique contemporaine.
Cette divergence entre toutes sortes d’écoles qui recherchent – disons – des bruits, des organisations de bruits et puis une quantité de gens qui ont commencé à s’intéresser à la musique iranienne, à la musique indienne, aux contraintes, à une musique qui donne une expression pure.
Une voie conduit naturellement peu à peu des grands artistes à créer sur des plans complètement différents.
Intervenante : Inde du Nord, chant dhrupad, les frères d’Agar.
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États-Unis, La Monte Young, Drift Study
Deux ondes sinusoïdales accordées en intonation juste.
Intervenant : C’est un son prolongé qui peut paraitre interminable et sans intérêt. Mais je vous propose une petite expérience. Vous vous écartez de votre poste de radio, dans certains cas, il suffit simplement de bouger la tête et vous vous rendez compte tout à coup que le son change notablement. A certains endroits de votre appartement, il change même radicalement de hauteur.
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Quel est donc ce phénomène acoustique ? Il s’agit du phénomène des ondes stationnaires, c’est-à-dire qu’à certains endroits de votre appartement, les sons graves se trouvent renforcés, il y a comme un son de tonneau et puis à d’autres endroits, c’est le phénomène inverse, c’est-à-dire que ce sont les sons aigus qui sont renforcés.
Et comme le son continu que vous écoutez est formé de deux ondes pures, deux ondes sinusoïdales, l’une plus grave que l’autre, on comprend pourquoi elle change à travers votre appartement.
C’est un phénomène acoustique, mais l’effet psychoacoustique de ce son est encore plus fort.
<SON>
Intervenante : Dans la tradition de la musique modale, une tonique fixe est tenu comme un bourdon ou bien répétée fréquemment et une série limitée de fréquence avec des rapports d’intervalle établis en référence à la tonique et répétés dans diverses permutations mélodiques pendant toute la durée d’une exécution dans un mode particulier.
Généralement, une humeur ou un état psychologique spécifique est attribué à chacun des modes. La théorie qui localise l’identification de la hauteur postule que chaque fois que la même fréquence est répétée, elle est reçue au même endroit déterminé de la membrane basilaire et transmise au même point déterminé du cortex cérébral, probablement par la même fibre ou neurone du nerf auditif.
De son côté, la théorie volée de la perception de la hauteur suppose qu’une séquence d’impulsion électrique suit le parcours de neurone spécifique du nerf auditif. Les suppositions de la théorie de la localisation et de la théorie volée suggèrent que lorsqu’une série spécifique de fréquences reliées harmoniquement est continue, elle serait en mesure de produire ou stimuler plus définitivement un état psychologique qui pourrait être rapporté par l’auditeur.
Étant donné que la série de fréquences reliées harmoniquement déclenchera continuellement une série spécifique de neurones auditifs qui, à leur tour, exécuteront continuellement la même opération de transmission d’un modèle périodique d’impulsion à la série de points déterminés, leur correspondant dans le cortex cérébral.
La Monte Young.
<SON>
Intervenant : Effet psychoacoustique, l’imprégnation de votre psychisme par un son continu constituée de fréquences accordées en intonation juste. Un secret que connaissaient depuis longtemps les moines du Tibet.
<MUSIQUE>
Rituel tantrique, monastère de Gyuoto.
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D’une façon, cette fois profane, la notion d’intonation juste était aussi connue des bergers de Sardaigne.
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Intervenante : John Cage
John Cage : Je voudrais réaliser comme on réalise en zen bouddhiste que je suis ou je dois être, mais (0:46:38) n’est pas pour les monastères, c’est pour tous les gens.
Pour apprécier la musique du Young, il faut fixer l’attention sur sa musique et il le demande. Il ne le demande pas égoïstiquement, il le demande comme un être oriental afin de vous améliorer. Tout est arrangé afin que vous pouvez fixer votre attention comme sur une bande de cristal.
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Intervenante : La Monte Young : Plus un ton est tenu, plus vous pouvez obtenir d’informations sur la relation des fréquences entre elles, parce qu’une fréquence en soi est un phénomène qui a lieu dans le temps. C’est pourquoi pour mesurer un phénomène périodique dans le temps, il faut prendre une tranche de ce temps et analyser ce qui se produit pendant cette tranche de temps.
Alors, si vous prenez un intervalle d’une seconde, vous n’obtiendrez pas autant d’informations que si vous prenez un intervalle de 30 secondes, ou un intervalle de 3 mois, un intervalle de 10 ans, un intervalle de 100 ans.
<SON>
Une autre chose que j’aime dans le ton longuement tenu, c’est qu’ils ont un effet plus puissant sur celui qui écoute. Le système nerveux se synchronise avec ces vibrations et votre état psychologique devient lié à ces fréquences.
Je me suis rendu compte qu’en tenant longuement les tons, les gens pouvaient plus facilement entrer dans ce genre d’état psychologique et qu’il y avait une correspondance intime plus ou moins avec les vibrations de la musique.
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Intervenante : La Monte Young, le piano bien accordé.
La Monte Young : The Monte Young (0:50:43) piano est l’une des premières compositions où j’ai utilisé l’intonation juste. Pendant quelque temps auparavant, je l’avais déjà fait, de la musique de saxophone. Mais les choses intéressantes pour le piano, c’est que les tons sont fixes, on les accordait. Et comme je les accordais tous les jours, ils restent en place. Il faudrait donc très clairement entendre les ratios. Et la conséquence, c’est que j’ai pu utiliser des ratios un peu plus complexes.
Je n’avais jamais exécuté Monte Young Piano en concert à cause de la difficulté à accorder le piano. Il faut des semaines, des mois pour l’accorder. L’accorder parfaitement, je veux dire.
Bien sûr, on pourrait l’accorder en un temps limité, mais la manière d’écouter, de placer tous les intervalles, d’être sûr qu’ils sont parfaits, ma manière de travailler est très perfectionniste et le piano sur lequel je travaillais alors avait tendance à déraper un petit peu. Il faut changer certaines des cordes presqu’autant que les demi-tons. Elles doivent toutes pouvoir trouver leurs nouvelles places.
C’est très difficile de donner cette pièce en concert, je veux dire immobiliser le piano, le rendre inutilisable pour tout autre usage. On ne peut pas le déplacer après qu’il a été accordé.
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C’est vers 1964-65-63 que j’ai commencé à m’intéresser beaucoup à la justesse de l’accord. J’avais été intéressé par l’écoute des harmoniques depuis quelque temps déjà et je savais que les musiciens indiens, quand ils accordent leurs instruments, écoutent les harmoniques pour trouver la hauteur du ton.
J’ai choisi un système d’accordage qui soit à base de ces intervalles harmoniques en utilisant des intervalles qu’on ne trouve pas dans les échelles indiennes, mais qui pouvait être retenu à l’oreille et par une connaissance des relations de fréquence rationnelle.
Par exemple, il y a un ton particulièrement intéressant, il me semble que j’ai été le premier à l’utiliser. Cet intervalle, c’est le ratio 63/64.
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Effet psychophysiologique de l’intonation juste. Le rôle de la durée ou de la répétitivité lié à celui de la précision des tons.
Alain Daniélou, La Monte Young, le son prolongé et le piano bien accordé.
Musique et psychoacoustique Yann Paranthoën, Jacques Launay, Hazel Carr, Denise Luccioni, Robert Aubry-Lachainaye, Daniel Ko.